LE VIAUR :le châtaignier.


Texte de Gérard BRIANE Maître de Conférences à l'Université de Toulouse.
Illustrations en couleur de
Claude Bernard 81190 Mirandol.
Photos de Suzanne Calmettes, Pierre Fuentes et Thierry Couët.

Le châtaignier (Castanea sativa) a, de tout temps, constitué une ressource essentielle des régions pauvres de Bretagne, du Limousin, des Ségalas, des Cévennes, des Maures, de Corse: c'était l' "arbre à pain". On a même parfois parlé d'une "civilisation du châtaignier" ou le châtaignier était la base de la nourriture pour l'homme et les animaux, servait de bois de chauffage, de bois d'oeuvre, son feuillage était utilisé pour la litière, etc...
C'est une espèce très courante dans notre belle vallée du Viaur. Il était autrefois plutôt cultivé sur les plateaux, mais il a fait les frais des remembrements et de la modernisation de l'agriculture. Aujourd'hui, il ne subsiste plus que dans les versants des vallées (les «travers») où sa culture est de plus en plus à l'abandon. Il était d'ailleurs surtout cultivé sur les versants nords de la vallée, les zones les plus encaissées ou le fond de vallée alors que les versants les mieux exposés («adrets») se voyaient aménagés en terrasses et plantés de vigne ou d'arbres fruitiers. Ce sont la crise du pylloxéra à la fin du XIXème siècle et la « saignée» de la guerre 14/18 qui modifieront de façon décisive l'usage de ce terroir du Viaur.

Un arbre exigeant ?

Le châtaignier a un certain nombre d'exigences, malgré sa rusticité. En effet, sa répartition géographique s'explique d'abord par ses exigences écologiques. Il demande des sols acides, c'est à dire qu'il ne supporte pas plus de 6% de calcaire actif dans le sol. Par contre, le châtaignier affectionne tout particulièrement les sols siliceux, schisteux ou granitiques.
C'est aussi un arbre exigeant un certain ensoleillement pour voir arriver ses fruits à mâturité et, bien que de débourrement tardif, il est sensible aux gelées. De même, il ne pousse pas à plus de 800/900 m d'altitude (sauf en Corse où on le rencontre à 1200 m). S'il a besoin de chaleur en été, il a aussi besoin d'eau en septembre. Les anciens disaient : " au mois d'août, la châtaigne doit être dans un four, au mois de septembre dans un puits"..

En fait, hormis ces petites succeptibilités, c'est un arbre trés résistant que l'on peut trouver dans des sols trés pauvres ou trés secs.

Un arbre de civilisation

On ne sait pas très bien si le châtaignier est autochtone ou s'il a été introduit d'Asie Mineure. Des recherches récentes montrent que l'on retrouve en Ardèche des feuilles fossiles remontant à l'ère Tertiaire. Il est probable que ce sont les grandes glaciations qui l'on fait se raréfier et quasiment disparaître de nos contrées. Mais il n'est pas impossible qu'il ait trouvé refuge dans des lieux abrités du bassin méditerranéen ou dans les fonds de vallées de nos montagnes. On ne peut donc dire s'il a toujours été présent en vallée du Viaur. Toutefois, il a certainement bénéficié, pour la reconquête de son territoire, des conquêtes romaines car son fruit était déjà trés apprécié des romains.

C'est à partir de là que le châtaignier et l'homme ne se sont plus quittés. Le châtaignier a été l'élément essentiel de la survie de nombreuses populations des secteurs de moyenne montagne anciennes comme le Massif-Central, les Cévennes ou la Corse, C'est souvent grâce à cet arbre providentiel que les densités de population ont pu être aussi élevées dans ces montagnes aux XVIII et XIX ème siècles (souvent même bien plus élevées que dans les plaines fertiles du nord de la France). La civilisation agraire des régions castanéicoles était basée sur le pré-châtaignier. Il s'agissait d'associer à un verger de châtaignier où les arbres sont plantés et greffés, la culture de céréales (essentiellement du seigle: région du Ségala) ou la prairie pâturée par les animaux domestiques. Ces associations de pratiques culturales permettent souvent, dès le milieu du Moyen-Age, à des régions pauvres de faire face à la famine. Les échanges de greffons et de variétés sont fréquents et contribuent au brassage génétique des variètés à travers tout le sud de l'Europe.




















Un arbre de civilisation

Si le fruit est l'élément essentiel de cette civilisation du châtaignier, pratiquement toutes les parties de l'arbre sont utilisées. Les châtaignes servaient de nourriture aux agriculteurs, (autoconsommation) qu'elles soient utilisées fraîches ou séchées (dans des «Sécadous » et sur des « claides») pour être consommées sous forme de farines, comme on peut le voir , encore aujourd'hui en Corse. Elles étaient aussi commercialisées et servaient de monnaie d'échange contre du froment, du vin, de l'huile ou des épices. Mais la châtaigne servait surtout dans bien des régions Limousin, Cévennes, Vivarais, Béarn, sud du Massif Central) à l'engraissement des cochons qui en ont fait une spécialité du Rouergue ou des Monts de Lacaune. L'utilisation « de luxe» de la châtaigne sous forme de marrons glacés ou de crème est, quand à elle, relativement récente. D'ailleurs la distinction entre châtaignes et marrons, les derniers comportant moins de 12% de cloisons pour 100 fruits, n'est apparue que dans les années cinquante.

C'est aussi le bois qui sert à la construction de meubles, d'échalas, de parquets, etc.. Quand les arbres étaient coupés, le taillis issus des nombreuses repousses servait à l'obtention de piquets. Les régions viticoles avaient ainsi de nombreux échanges avec les régions de castanéiculture: elles fournissaient les piquets et le bois pour la construction des tonneaux en échange du vin.

Enfin, les feuilles servaient à la litière des animaux, souvent en association avec des fougères. Elles servaient aussi d'engrais dans les cultures. Elles pouvaient aussi servir, après émondage, de fourrage pour les animaux soit fraîches, soit après séchage en hiver. Les feuilles fraîches pouvaient aussi servir à envelopper des fromages frais ou à tapisser les fonds des paniers.

 























 Un arbre en voie de disparition ?

Depuis la deuxième guerre mondiale, la châtaigneraie n'a cessée de régresser. Cette régression a plusieurs causes qui se sont combinées. Tout d'abord, c'est l'exode rural et la désertification de nos campagnes qui a touché principalement les secteurs castanéicoles défavorisés par leur enclavement et la forte pente des terroirs. Dès que cela a été possible, le châtaignier a fait les frais de la modernisation de l'agriculture: châtaigneraies arrachées pour la mise en culture des parcelles les moins pentues, abandon des vergers, vieillissement des châtaigneraies, chute des cours, etc.. Par ailleurs, les maladies spécifiques à l'arbre se sont développées ou sont apparues. C'est le cas de la maladie de l'encre qui a connue une recrudescence du fait du manque d'entretien ou de l'abandon des vergers. Mais c'est surtout l'apparition du chancre de l'écorce (Endothia parasitica) qui a accentué le déclin de la châtaigneraie a son apparition en France dans les année 1960.

- le chancre de l'écorce (Endothia parasitica) est un champignon parasite qui attaque l'écorce en provoquant le déssèchement de la partie supérieure avec, s'il est trop tard dessèchement des feuilles en été. On le reconnaît aussi par le cracquellement de l'écorce, son rougissement et l'apparition de nombreux rejets au-dessous de l'attaque. Pratiquement tout le pays est aujourd'hui atteint par cette épidémie.
- la maladie de l'encre (Phytopthora cambivora et cinnamonli) provoque le ralentissement de la croissance de l'arbre qui perd ses feuilles en été (racines attaquées). De plus, on peut aussi apercevoir un écoulement noirâtre à la base du tronc.
Par ailleurs, quelques insectes peuvent aussi parasiter les fruits comme le carpocapse (Laspeyresia spiendana) et le balanin des châtaignes (Balanins elephas).

Vers un renouveau de la châtaigneraie ?

Ce renouveau se fait au travers de l'amélioration des pratiques culturales et surtout grâce à l'amélioration des variétés de châtaigniers. Certaines sont trés anciennes et sont de plus en plus difficiles à trouver (voir encadré). D'autres variétés ont été sélectionnées par l'INRA (Institut National de la Recherche Agronomique).

Certaines variétés sont issues de l'hybridation, naturelle ou artificielle, entre deux espèces: le châtaignier européen (Castanea sativa) et le châtaignier du Japon (Castanea crenata). Elles sont généralement plus résistante à la maladie de l'encre que les variétés indigènes. C'est le cas de variétés comme Marigoule, Marsol, Bournette ou Bouche de Bétizac.

D'autres variétés sont anciennes et avaient plusieurs usages. Elles étaient toutes greffées, le plus souvent en sifflet («la caramelle») à partir d'arbres greffés et taillés spécialement pour fournir les greffons (" gruelle")) : les « gruelliers».

En vallée du Viaur, on a pu recenser plusieurs variétés :

  • Marron de Laguépie: il s'agit en fait d'une châtaigne demi-tardive à la belle robe rouge acajou brillant et à la chair très sucrée. Les fruits sont à consommer frais.
  • Savoye: c'est une variété exclusivement utilisée pour les grillée. C'est un marron (non cloisonné) exceptionnellement sucré et goûteux.
  • Como de bisu (Corne de boeuf): variété de châtaigne précoce surtout utilisée pour la cnosommation en frais.
  • Teillette de la vigne: cette variété de marron est à petit calibre mais est appréciée pour ses qualités gustatives.
  • Tardive: variété qui, comme son nom l'indique, est à production tardive.
  • Micoural: belle variété à la robe acajou.
UN VERGER CONSERVATOIRE : Tout ce patrimoine biologique aujourd'hui menacé est conservé au
Verger Conservatoire Départemental à la ferme de La Croix Blanche à Rignac (Aveyron).