JOUQUEVIEL, une commune de la  vallée du VIAUR au XIXème siècle


Histoire d'eau.

Au tournant du siècle, sous l'impulsion de leur curé, les habitants des Infournats décidèrent d'installer l'eau courante au hameau. Pour cela, ils effectuent des travaux qui gênent un propriétaire du terrain jouxtant le réservoir d'eau construit. S'ensuit un procès qui donne lieu à une expertise dont le contenu nous est parvenu par le biais d'archives privées. Dans le récit qui suit les parties en italique sont des extraits du rapport (1905-1906) d'Aimé ESPEROU architecte expert à Albi auprès du tribunal de première instance.


Les ressources en eau

Les habitants du hameau des Infournats se procuraient collectivement l'eau, à deux endroits : le Pescayret (cinq cents mètres environ au-dessus du village) et la Fon basse (environ trois cents mètres en dessous) :

Témoignage de Baptiste Malaterre 80 ans et de sa soeur Julie 70 ans (anciens habitants du hameau):

"De tout temps les habitants des Infournats, dont j'ai fait partie, sauf depuis quarante ans que j'habite L'Aubar, sont allés chercher de l'eau soit à la fontaine du Pescayret, soit à la Fon Basse, lesquelles ne tarissent jamais. L'on allait cependant de préférence au Pescayret parce que le chemin en était moins pénible."

Et témoignage
d'Ezes Frédéric et de sa femme Orancie Raynal

« Les époux EZES habitaient la maison située tout à fait au bas du village et seuls avec leur voisin ils allaient et encore pas toujours chercher de l'eau à la Fon basse, tous les autres allaient constamment au Pescayret, de beaucoup moins pénible.

D'autres ressources existaient mais la communauté villageoise ne les utilise plus

"A la question de savoir si les habitants des Infournats n'avaient pas d'autres ressources en eau que celle du Pescayret, les défenseurs nous ont montré en effet dans le village au milieu des ruines d'une vieille construction un puits envahi par les ronces, au travers desquelles l'ont distinguait à une faible profondeur des moellons. Ce puits « dit de Gargaros » pour lequel paraît-il, autrefois l'on payait une redevance annuelle a été comblé, il y a une trentaine d'années par mesure d'hygiène ce qui n'a pas été contesté par le défendeur. Il existe dans le village dans la maison Alet, un puits sorte de citerne, dont l'eau facile à puiser, propre, tient au plus à l'alimentation du bétail ne dispense pas le propriétaire partie au procès de s'approvisionner au Pescayret."

Ou ne peut pas les utiliser :
Nous avons visité sur le parcours du Pescayret aux Infournats une source située sur la parcelle numéro vingt sept (C du plan général) appartenant à un sieur GUIRAL qui n'habite pas la localité et en a interdit à plusieurs reprises le puisage en détruisant le petit bassin qui au pied du talus constituait une petite réserve.
Cette source tarit en été et le mince filet d'eau qui s'en échappe n'est pas du reste susceptible même en temps normal d'alimenter le village

De fait, comparés à d'autres endroits, les habitants (une cinquantaine au tournant du siècle) des Infournats ont abondance et permanence de la ressource en eau, ce qui est, somme toute, l'essentiel. A l'Ouradou (à huit cent mètres à vol d'oiseau, en bordure de plateau) pas trop de soucis non plus malgré quelques problèmes estivaux ponctuels :

ALAUX Alexis 62 ans propriétaire à l'Ouradou et LAGRIFFOUL, gendre ALAUX, déclarent :
 " Pour les bestiaux lorsqu'ils en manquent, l'on va au réservoir d'Alet, le long du chemin vicinal, mais ce n'est qu'en temps de grande sécheresse. Le temps de grande sécheresse est lorsque les habitants des Infournats viennent travailler sur la plaine et dépiquer leurs gerbes à l'Ouradou, il peut se faire que la fontaine publique s'épuise momentanément si tout le monde y arrive à la fois, car les travaux de dépiquage demandent beaucoup d'eau, mais dans quelques instants l'eau revient "

S'approvisionner : une contrainte qui peut devenir une corvée

Même si les deux sources sont relativement proches du village, il faut aller chercher l'eau tous les jours ! Cette tâche oubliée par l'homme "moderne" devient vite une corvée si les conditions de puisage sont pénibles ce qui est un peu le cas à la Fon basse. Le chemin y est plus court qu'au Pescayret mais sa partie finale est étroite et rocailleuse et puis la pente est dans le mauvais sens : on (le plus souvent les femmes) descend à vide mais on remonte le versant à charge, alors que c'est le contraire pour le Pescayret qui dispose en outre d'un chemin plus large. Il s'agit en effet pour une partie de la voie qui mène vers le hameau de Jouqueviel (chemin dit du Cambou) et pour l'autre de celle qui desservait l'Ouradou avant la mise en oeuvre, vers 1870, du chemin vicinal "ordinaire".

Témoignage d'un goupe de propriétaires :
« Le chemin pointillé reliant le village des Infournats à l'Ouradou et qui traverse le lieudit Pescayret était il y a quarante ans environ le seul chemin communicatif entre les deux villages aucun autre chemin existant dans cette époque dans ces contrées.
Nous déclarons en outre que depuis que le nouveau chemin a été construit l'ancien chemin figurant au plan en pointillé n'a pas été pour cela annulé ; les gens ont continué d'y passer sans que personne n'ait cherché d'y porter obstacle, une partie du chemin est encore charretier pour le service des châtaigneraies l'autre partie ayant une pente trop raide pour le service des chars n'est propre que pour les piétons."

Pour compléter cet état des lieux, ajoutons que la source du Pescayret est dotée d'une cannelle en bois pour faciliter le puisage des eaux et que le trop plein se déverse dans un "pesquié" (mare) pour abreuver les bêtes. A la Fon basse on puise directement à la source qui est maçonnée et le trop plein dessert un lavoir où les femmes vont faire la lessive. En quelque sorte on a spécialisé les sources.

L'eau courante !


Soucieux de ses ouailles, et peut-être de son confort, le curé des Infournats se montre en tout cas imaginatif et innovateur puisqu'il suggère d'installer l'eau courante (rappellons que celle-ci n'arrivera à la campagne que dans les années cinquante dans bien des endroits) !

Témoignage de Célestin ALET, 56 ans, les Infournats.

Les habitants des Infournats franchissaient ainsi journellement les quatre cent cinquante mètres qui séparent le Pescayret du centre du village lorsque vers mil neuf cent mil neuf cent un le desservant de l'église des Infournats, directement intéressé lui-même, puisqu'il habite cette localité, frappé de la différence de niveau qui existe entre la fontaine, cote quatre cent cinquante mètres dont le seuil de la maison la plus élevée se trouve à la cote quatre cent vingt huit, suggéra l'idée d'y amener au moyen d'une canalisation les eaux de cette source que l'on pouvait facilement capter dans un réservoir à établir dans le voisinage […]

Les eaux de la source du Pescayret, bien desservies par ce chemin charretier sont donc les plus utilisées par les habitants des Infournats et plus largement publiquement "depuis tout temps ou immémorialement" comme le disent les habitants. Mais elles coulent dans un terrain privé. Les habitants décident de l'acheter et s'adressent au propriétaire, CASTE Germain et à son épouse Rose BARRIA qui en demandent 1500 francs. La somme leur paraissant trop élévée ils ont l'idée de s'adresser au propriétaire voisin puisque la source a la chance (pour eux !) d'être à la limite de deux parcelles (voir plan). Le deuxième propriétaire, ALAUX Alexis, 62 ans de l'Ouradou, lui, fait affaire pour la modique somme de 40 francs.


Au travail

Aussitôt ou presque, pelles, pioches, pinces et truelles sont mises en branle et un réservoir est creusé et bâti sur la parcelle ALAUX en bordure de la parcelle CASTE. Les eaux de la source ainsi détournées et stockées sont prêtes pour le voyage vers les Infournats. Reste la canalisation à réaliser, cela ne tarde pas non plus.

Témoignage de Célestin ALET, 56 ans, les Infournats :

« La canalisation en tuyaux de plomb de trente millimètres fut posée sous le chemin au droit de la parcelle numéro cent soixante un appartenant aux époux Castè-Barria (AB du plan général)

Au-delà de cette parcelle cette canalisation fut placée à travers les châtaigneraies de manière à atteindre au plus tôt et en pente douce le chemin vicinal ordinaire numéro trois sous l'assiette duquel elle fut continuée, jusqu'au village où des branchements divers assurèrent la distribution dans les rues et dans les maisons particulières."

Sur le coup, l'affaire, assez rondement menée (début 1902 l'eau courante est en place) ne fait pas de vagues, ni auprès des autres propriétaires ni au conseil municipal, qui déclarent à l'expert :

"Nous déclarons en outre que c'est sur ce même chemin qu'ont été placés les tuyaux alimentant le village des Infournats et qu'au moment où les tuyaux se plaçaient sur le chemin personne ne s'est opposé au creusage des fosses ni à l'exécution des travaux de canalisation.

Les membres du conseil municipal confirment qu'ils ont donné l'autorisation aux habitants de placer les tuyaux sur le chemin. "

           


Au tribunal

Germain CASTE, privé d'une partie des eaux, même s'il ne les utilisait guère, se sent floué par ce bel ouvrage dont il n'apprécie pas les résultats (rapport de l'expert : l'usage abusif au dire des époux Casté-Barria que faisaient de l'eau les habitants des Infournats et notamment Monsieur le Curé qui joignant l'utile à l'agréable avait dans le jardin du presbytère installé un jet d'eau).

En avril 1902, ni une ni deux, il creuse une profonde tranchée sur son terrain, juste en bordure du réservoir creusé par les habitants du hameau. Le résultat ne se fait pas attendre, c'est un nouveau partage des eaux qui réduit l'abondance de l'approvionnement villageois et de surcroît, le jet d'eau du jardin de Monsieur le curé perd de sa prestance...

Réaction rapide et unanime d
es habitants des Infournats (FOURNIER Joseph ; GAYRARD Baptiste ; NEGRIER Justin ; GARLARD Firmin ; MARTY Joseph ; LAGRIFFOUL Célestin ; ALET Célestin ; RAYNAL Joseph ; CASTE Charles ; MEDAL François) qui portent l'affaire en justice contre les époux CASTE-BARRIA. Un expert est nommé, il se rend sur place le 3 novembre 1905 puis du 13 au 18 du même mois et encore et enfin le 9 avril 1906. Outre le recueil des témoignages et les relevés de terrain, il propose aux parties des solutions à l'amiable mais termine son rapport par « il nous paraît malheureusement douteux, vu l'état des esprits, que l'on y arrive jamais ». C'est donc la justice qui tranche, le 10 janvier 190,8 en obligeant les habitants des Infournats à enlever la canalisation dans la partie du chemin situé sur la parcelle de CASTE.

Ce procès est un bel exemple, parmi tant d'autres, des chicaneries villageoises autour de l'eau et de la terre. De fait, les paysans n'hésitent pas, malgré le coût et les difficultés pratiques, à recourir aux avocats et à la justice (aux notaires pour les dots et les dettes) quand ils le jugent nécessaire. Or, les affaires de terre sont sérieuses pour ne pas dire vitales. Ici, pour Germain Casté, qui n'a pas lancé la procédure, l'eau est en quelque sorte secondaire, c'est le droit d'user comme il veut de sa terre qu'il défend et qu'on la reconnaisse bien comme privée. Son argument majeur, qui lui permet d'ailleurs de gagner le procès, s'appuie sur le fait que le chemin qui vient à sa source n'est pas public, qu'il ne s'agit que d'une servitude de passage qui ne donne pas droit à poser une canalisation souterraine dans sa parcelle. Il se trouve que cet ancien chemin, abandonné après la construction du chemin vicinal ordinaire vers l'Ouradou n'était pas encadastré correctement. Cette négligence, assez classique pour les chemins communaux, met à mal la défense des habitants qui ne peuvent prouver le caractère public de la desserte de "leur" fontaine. L'usage, plus que trentenaire, des eaux ne leur est pas contesté (la législation d'ailleurs le prévoit) pas plus que le passage sur la parcelle mais il leur fallut déplacer la canalisation ...