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HISTOIRE/LIEUX INSOLITES : Tourène ... "ou la prolongation du Grand Schisme d’Occident dans le Midi de la France ». |
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"Itinéraires au fil du Viaur", guide édité par l'association avec l'aide du contrat de rivière. 18.9 € (port gratuit) sur commande (par chèque à Viaur-Vivant) adressée à "Viaur-Vivant" 81190 MIRANDOL | |||
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Divisions politiques : une France en trois Pour
comprendre, il faut faire un état des lieux en 1420. La France
est dans une phase de la guerre de Cent Ans fort peu favorable au roi
de France. Les états bourguignons du duc Philippe le Bon ont
signé avec les anglais, qui occupent Guyenne et Normandie, le
traité de Troyes qui déshérite le dauphin Charles
(régent à la place de son père Charles VI, atteint
de folie) au profit du roi d’Angleterre Henri V qui, pour se
faire reconnaître, épouse la fille de Charles VI … Réfugié à Bourges, le futur Charles VII, (ironiquement baptisé « roi de Bourges ») ne contrôle
qu’une partie du territoire qui est, de fait, partagé en
trois parties (anglaise, bourguignonne, royale). Localement, le Viaur est un point de contact : le Quercy est anglais, l’Albigeois royal et la région est régulièrement le théâtre d’affrontements de bandes armées adverses. Divisions religieuses : trois papes pour une Eglise Pendant que les
nobles s’étripent avec ardeur en appliquant le principe « diviser pour régner », les
prélats de l’Eglise, quant à eux tentent
d’effacer les traces laissées par près de quarante
ans de véritable « guerres papales ».
C’est en 1378 que des évêques, la plupart
français, pour protester contre l’élection du pape
Urbain VI (soutenu par les romains) avaient eu l’idée
d’élire un autre Pontife pour le remplacer. Hélas, trône
de Saint-Pierre ou du royaume de France n’a qu’une place !
Les deux papes ont chacun leurs partisans. Pour faire simple le royaume
de France (ce qu’il en reste!) et ses alliés
s’opposent aux autres (Angleterre en tête) mais les
fidélités sont précaires… En 1409, pour mettre fin à la bicéphalie le concile de Pise
démet les deux papes en place pour en élire, et oui,
… un troisième, renforçant ainsi le
désordre dans l’Eglise, devenue tricéphale ! L'unité religieuse retrouvée, sauf dans la vallée du Viaur Dans ce contexte d’anarchie politico-religieuse, on peut comprendre que le chrétien de base puisse y perdre son latin, d’autant plus qu’entre les trois papes, pas l’once d’une véritable controverse théologique pour faire son choix. La plupart du temps l’on suit l’option de son curé, elle même dictée par les stratégies des nobles locaux qui mènent le jeu. D’ailleurs, c’est le pouvoir politique qui va régler le schisme : l'empereur du Saint-Empire impose au « pape de Pise », la convocation d’un concile qui reconstruit l'unité autour d’un nouveau pape, Martin V (1417) qui reçoit progressivement (en quelques années...) l’appui des princes. Si l’Eglise a retrouvé, péniblement, son unité de direction, dans quelques territoires, notamment la vallée du Viaur, persistent des résistances et des soutiens à Benoît XIII, pape destitué représentant de l’obédience « française » (anti romaine) et refusant bien sûr de reconnaître Martin V. Ce dernier envoie un légat (Géraud de Brie) pour réduire les restes du schisme dans la région. Jean IV d’Armagnac, comte de Rodez (entre autres possessions) y protège les partisans de Benoît XIII qui a délègué l’un de ses clercs, Jean Carrier pour poursuivre les partisans du « nouveau » pape. L’affrontement est inévitable et c’est au château de Tourène qu’il se déroule. Une résistance obstinée Pour
déloger Jean Carrier de son nid d’aigle le légat
fait appel au « bras séculier » c'est-à-dire aux consuls d’Albi qui ne peuvent refuser leur aide. Cependant malgré la venue sur place
de Géraud de Brie (décembre 1420 à Albi puis
quelques mois plus tard à Mirandol-Bourgnounac) leur implication
reste très modérée. Le légat, qui manque de
moyens est donc impuissant face à l’obstination de Jean
Carrier protégé par la géographie des lieux. Il
revient donc de nouveau à Albi (en juillet 1423) pour inciter
les albigeois, à coups de processions et de sermons, à
participer au siège qui pour Matthieu Desachy est tout relatif
(simple contrôle du territoire environnant). La situation se
dénoue en décembre quand Jean Carrier part
de Tourène pour Péñiscola (royaume d’Aragon)
où s’était réfugié « son
pape » Benoit XIII, mort au printemps
précédent. Obstinément, il poursuit sa
désobéissance et procède à
l’élection d’un nouveau pape Benoît XIV
(1425). Revenu en Rouergue (au château de Jalenques, actuelle
commune de Quins près de Naucelle) il se place sous la
protection de Jean IV d’Armagnac jusqu’en 1429, date
à laquelle le comte de Rodez se rallie au « vrai
pape ». Isolé et sans partisans puissants, Jean
Carrier finit par être capturé et meurt peu après
en prison (1433). Comment expliquer cette dissidence locale ? L’attitude de Jean IV d’Armagnac y est pour beaucoup, sa protection semble efficace dans un contexte où la population largement indifférente à la question laisse faire les autorités locales. A cela s’ajoute la personnalité de Jean Carrier, idéaliste obstiné conforté par la géographie locale qui renforce son splendide isolement. Il n’en demeure pas moins que la dissidence s’appuyait aussi sur un soutien même très minoritaire de la population locale (clercs, bourgeois et marchands de Rodez) puisque une quinzaine d’années après la mort de Jean Carrier, l’on retrouve encore dans la vallée du Viaur des partisans des « antipapes ""... |
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Pour ceux qui veulent aller plus loin : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00845940 : "La damnable schisme ore apaiséz." Centre d'études historiques de Fanjeaux. Colloque de Fanjeaux, Jul 2003, Fanjeaux, France. Privat, 39, pp.353-393, Cahiers de Fanjeaux le texte de Matthieu Desachy qui replace le siège de Tourène dans son contexte. http://gallica.bnf.fr/Search?adva=1&adv=1&tri=title_sort&t_relation=%22cb340446320%22 "La France et le Grand Schisme d'Occident" de Noël Valois le livre ancien (1896-1902) mais encore fondamental sur la question (4 tomes, c'est le dernier qui traite de la période du siège de Tourène ...) et du même auteur mais centré sur la région : « La Prolongation du Grand Schisme d’Occident au XVe siècle dans le Midi de la France », dans Annuaire-Bulletin de la Société de l’Histoire de France, Paris, 1899, t. XXXVI. http://archive.org/stream/annuairebulletin1899sociuoft/annuairebulletin1899sociuoft_djvu.txt http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_1123-9883_1990_num_102_2_3134 Colette Beaune Nicole Lemaître : "Prophétie et politique dans la France du Midi au XVe siècle" In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen-Age, Temps modernes T. 102, N°2. 1990. pp. 597-616. La question des "antipapes" a aussi suscité une " littérature" moins sérieuse ... que nous n'aborderons pas |
Deuxième volet de " la prolongation du Grand Schisme d’Occident dans le Midi de la France ». | |||
Une église dissidente Si Tourène est un premier lieu symbole de la poursuite du grand Schisme d’ Occident en vallée du Viaur. , il faut pour être « complet » sur le sujet, évoquer la période suivante (1432-1467) pendant laquelle des habitants de la région ont continué à reconnaître comme seul pape véritable, Benoit XIV. L’endroit emblématique de cet épisode est cette fois la grotte de Panissole, en occitan « la gleio de Panissolo », située dans les gorges de Flauzins (commune de Lescure-Jaoul). Eclairons la toponymie : Panissolo est la
déformation occitane de Peñiscola, ville-péninsule
espagnole où Benoît XIII, l’un des trois papes du
Schisme s’était installé. Il semble bien que ce
refuge papal soit vite devenu symbole du schisme puisque en 1423, dans
une lettre des consuls d’Albi, lors du siège de
Tourène, le scribe avait écrit, dans un premier jet,
avant de se reprendre et de le rayer, le terme de Peniscola
pour désigner le château de Tourène. La grotte qui
a servi d’église aux derniers schismatiques de la
vallée du Viaur a donc facilement trouvé son nom de baptême. De fait, on ne sait pas grand-chose de ces partisans de Benoît XIV. Leur action est mal connue tout comme leur nombre. En tout cas, comme la grotte mesure 8 m de profondeur sur 6 m de largeur et 4 à 5 m de hauteur, elle ne pouvait pas accueillir de grandes foules … L’histoire n’aurait sans doute rien su de leur existence sans le procès-verbal du procès de l’un d’entre eux, jugé à Rodez en avril-mai 1467.
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Ci-contre la "croix occitane" du Coulet et ci-dessus les gorges du Viaur vue du Coulet (vers l’aval) ou habitait la famille Tranier, principal protagoniste de la poursuite du schisme dans la vallée.
Une famille de schismatiques Que nous apprend cette source ? La famille Tranier,
dont le père Jean est forgeron au Coulet, dépend de la
paroisse de Montoue mais elle n’en fréquente pas
l’église et va à la messe à Cadoulette ou
à Murat où les desservants sont, au moins pendant un
moment, acquis à la cause des schismatiques.
Inquiété dès 1446 par l’Inquisition,
l’un des fils, Pierre, est emprisonné au château de
Najac puis relâché après avoir abjuré. Pour
maintenir sa fidélité à la « véritable Eglise », la famille Tranier passe alors à la « clandestinité ». Pendant
vingt ans elle déménage d’un lieu à
l’autre, notamment au moulin de Bedene (probablement
l’actuel Berteigne) ou à celui de la Solayria (la
Soularié) sous les Infournats. Dans ce cadre d’errance
relative, les Tranier, qui sont chrétiens catholiques et
croyants ont recours pour recevoir les sacrements aux membres du
clergé encore fidèles à leur Eglise. Lors du
procès, ils indiquent que Jean Farald (« cardinal »
de l’obédience de Benoit XIII) est venu une nuit dans un
bois près de Roc de Bailière les faire communier. Si la
grotte de Panissole qui est juste en face, rive droite du Viaur
n’est pas citée dans le procès, gageons cependant
qu’elle a servi d’église pour que les Tranier (et
quelques autres sans doute) puissent régulièrement
pratiquer leur foi. Non content d’être schismatique, Jean Tranier s’adonne aussi aux prophéties et diffuse le « Karolus filius Karoli ». Cette prédiction, née en Italie au XIIIème siècle, annonce qu’un jeune roi de France, « Charles fils de Charles », après
avoir vaincu ses ennemis, va bâtir un Empire centré sur
Rome et reconstruire l’Eglise (donc pour Jean Tranier
rétablir son vrai pape). Les accusés, coupables aux yeux
de l’Eglise d’être schismatiques et
hérétiques sont, en règle générale,
condamnés à mort. Le père Jean Tranier meurt
à 60 ans pendant le procès et évite, sinon la
sentence, du moins le supplice, auquel son fils, Pierre (40 ans) n’échappe
pas. La fille, Jeanne (35 ans), en abjurant évite la mort mais
pas la prison à perpétuité ... |
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Ci-contre les gorges de Flauzins vue de l’aval (depuis Lasbinals, rive aveyronnaise). L’église de Panissole est sur le versant de la rive droite (à gauche au fond sur la photographie) au début des gorges. Elle est difficilement accessible aujourd’hui comme hier ...(pas d’indications, forte pente, nombreux pierriers rendant la marche délicate voire dangereuse) . Le moulin de la Solayrié où furent arrêtés les Tranier est au "premier plan"
Pourquoi ? Ce morceau d’histoire locale pose bien des questions. Pourquoi l’Eglise tarde t’-elle autant avant d’arrêter la famille du forgeron du Coulet ? Leurs refuges sont certes, situés dans une partie fort peu accessible de la vallée du Viaur, les gorges de Flauzins, mais pas au point qu’il faille plus de vingt ans pour les capturer. Si l’action des schismatiques n’est pas vraiment mesurable, ils n’ont plus le soutien important de la maison d’Armagnac et il semble bien que seules quelques personnalités mineures du clergé local, visiblement isolées, les appuient. L’obstination de la famille Tranier dans l’allégeance aux « papes Benoist [XIII et XIV]» relève sans doute plus de l’ aventure individuelle que du mouvement de masse et il est bien difficile de voir dans cet épisode une véritable menace pour l’unité de l’Eglise retrouvée. Si ce dernier élément peu expliquer la longue passivité des autorités à leur égard, alors pourquoi finalement procéder aux arrestations ? Les Tranier ont peut-être (pure hypothèse) été victimes du contexte politique « local ». En effet la vallée du Viaur fut une des zones de contacts et d’affrontements entre le pouvoir royal (Villefranche
de Rouergue, Albi) et la maison d’Armagnac (Comte de Rodez).
Cette dernière, un court moment ralliée à la
monarchie, revendique à nouveau, avec Jean V d’Armagnac
une indépendance princière et elle participe en 1465
à une révolte féodale (la ligue du bien public)
contre le roi Louis XI, révolte au profit de son frère
Charles. Dans ce cadre, diffuser, comme le faisait Jean Tranier, la
prophétie de prise de pouvoir d’un dénommé
Charles était sans doute fort mal venu et a peut-être
contribué à sa perte ; l’Eglise
collaborant avec l’autorité royale pour mettre fin
à une dissidence en soi peu dangereuse mais symboliquement
provocante. |
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